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Baromètre: Fidèles aux actions
Allocation d’actifs: résister à l’envie de prendre des bénéfices
Comme les marchés boursiers ont connu une excellente année, les investisseurs ayant profité du rebond auraient toutes les raisons de penser sérieusement à sécuriser leurs gains. Ils ne doivent toutefois pas céder à cette tentation pour le moment. Certes, un argument solide plaide en faveur d’une réduction de l’exposition aux actions: alors qu’ils avaient les yeux rivés sur les politiques favorables aux entreprises promises par le président américain élu Donald Trump, les marchés n’ont pas suffisamment pris en compte les mesures qui pourraient faire grincer les dents aux entreprises. Les valorisations, qui sont élevées par rapport aux normes historiques de la plupart des indicateurs, laissent également entendre qu’il y a peu de marge pour des gains supplémentaires.
Cela dit, les raisons de réduire l’exposition aux actions sont moins convaincantes si l’on tient compte de la situation économique et des conditions d’accès au crédit: une fois analysé le paysage des investissements sous cet angle, nous sommes convaincus que les actions pourront poursuivre leur évolution positive à court terme. Ainsi, alors que nous garderons à l’œil les nombreux risques susceptibles de perturber les marchés boursiers au cours des premiers mois de 2025, nous restons surpondérés en actions, neutres en obligations et sous-pondérés en liquidités.
Nos indicateurs du cycle conjoncturel suggèrent que la situation économique sera encore suffisamment favorable pour stimuler les bénéfices et les résultats des entreprises au cours des prochains mois. Le fait que les banques centrales baissent les taux d’intérêt alors que les indicateurs économiques avancés se situent principalement en territoire positif est particulièrement encourageant. Selon nos calculs, les taux en baisse et la croissance du PIB en hausse ne coïncident que 10% du temps, et une telle combinaison profite toujours aux actions.
Autre observation encourageante à tirer de notre analyse: l’économie américaine semble se diriger vers un atterrissage en douceur, évitant ainsi un ralentissement brutal que de nombreux investisseurs estimaient probable. En 2025, nous tablons sur un ralentissement progressif de la croissance du PIB vers le rythme potentiel à long terme du pays, à savoir 2% par an. Un tel scénario permettrait également à la Réserve fédérale américaine de réduire ses taux moins fortement que les anticipations actuelles du marché. Nous ne pensons pas que les taux d’intérêt américains vont passer nettement sous la barre des 4,5%, ce qui équivaut tout au plus à une nouvelle baisse de 25 points de base.
En Europe, la conjoncture économique est toutefois moins encourageante, notamment en raison des perturbations politiques en Allemagne et en France, qui pèsent sur le moral des entreprises et des consommateurs. Néanmoins, une baisse des taux d’intérêt contribuera à soutenir la croissance dans la région. Nous pensons que la Banque centrale européenne réduira les coûts d’emprunt à 1,75%, voire moins, au cours des prochains mois.
Nos indicateurs de liquidité annoncent des gains supplémentaires pour les classes d’actifs risquées. La dynamique positive – qui entraîne généralement une expansion des multiples des bénéfices des actions – est en grande partie liée à l’assouplissement monétaire continu mené par les banques centrales du monde entier. Sur les 30 principales banques centrales mondiales, 20 réduisent leurs taux et seulement trois les augmentent. À l’avenir, même si nous pensons que les taux d’intérêt aux États-Unis ne devraient pas baisser beaucoup plus, le récent passage de la Chine d’une posture monétaire «prudente» à une position «modérément accommodante» devrait maintenir le flux de crédit vers l’ensemble de l’économie.
Bien que nous soyons positifs au sujet des perspectives pour les actions, nous ne pouvons ignorer le fait que les valorisations constituent un signal négatif. Les actions américaines semblent particulièrement chères, puisqu’elles s’échangent à environ 22 fois les bénéfices à terme, soit 15% au-dessus de notre estimation de leur juste valeur sur l’ensemble du cycle. Il en va de même pour les actions cycliques, notamment par rapport aux secteurs défensifs. Un autre signal de valorisation potentiellement baissier est la prime de risque des actions, que l’on peut représenter à l’aide de l’écart entre les rendements des bénéfices et le rendement des obligations d’État américaines à 10 ans, ajustés de l’inflation. Lorsque le différentiel passe sous les 2 points de pourcentage, il annonce généralement une correction des actions (voir Fig. 2). Actuellement, la hausse des actions avant d’atteindre ce seuil peut atteindre 8%.
Les indicateurs techniques, en revanche, sont positifs pour les classes d’actifs plus risquées. Les enquêtes montrent que le positionnement en actions des investisseurs est devenu moins haussier ces dernières semaines. Les actions ne sont plus «surachetées», ce qui est un signal contraire positif. Parallèlement, les flux entrants vers les actions restent solides avec des niveaux record sur le marché américain. En outre, la saisonnalité soutient une allocation supplémentaire dans la classe d’actifs.
Secteurs et régions des actions: plus de gains pour les États-Unis
Les actions américaines semblent de plus en plus chères, mais pour le moment, les bonnes nouvelles sont suffisamment nombreuses pour les soutenir. Avec des actions qui offrent une rentabilité des capitaux propres de 18%, une dynamique de croissance des bénéfices des entreprises encore solide, une économie nationale résiliente et un moral en hausse à l’approche de la présidence de Trump, les signaux restent positifs.
Cependant, les valorisations élevées suggèrent que les possibilités de gains supplémentaires diminueront si la croissance économique américaine n’augmente pas grâce à une hausse de la production et de la productivité réelles. Cela dit, on n’observe pas de signes révélateurs d’un marché aux conditions comparables à une bulle: euphorie des investisseurs, endettement surdimensionné et activité démesurée de fusions et d’acquisitions. La forte concentration des gains sur une poignée de titres est préoccupante (voir Fig. 3). Néanmoins, dans l’ensemble, nous pensons que le marché américain pourra probablement enregistrer 10% de hausse supplémentaire avant que la perspective d’une correction importante ne se transforme en préoccupation majeure.
Par conséquent, nous maintenons notre surpondération des actions américaines, qui devraient également contribuer à soutenir les marchés d’actions mondiaux. En dehors de la Chine, les actions des marchés émergents semblent également bon marché, selon nous. Elles se sont relativement bien comportées l’année dernière, en faisant mieux que leurs homologues européennes, et, sauf si Trump adopte des mesures extrêmes contre le commerce, elles devraient continuer à le faire.
Nous relevons les services de communication de neutre à surpondérer. En effet, les bénéfices du secteur profitent d’une dynamique positive, même si le reste du marché enregistre une baisse de moral. De plus, malgré l’exposition qu’il offre à des thèmes de croissance structurelle tels que l’essor spectaculaire de l’intelligence artificielle, les valorisations ne sont pas extrêmes. Nous sommes également positifs concernant Alphabet (Google) ainsi que Meta, qui représentent ensemble environ 50% de l’indice mondial du secteur, les deux sociétés ayant démontré leur leadership dans le domaine de l’innovation technologique.
Nous relevons également l’immobilier de sous-pondérer à neutre. Alors que les banques centrales assouplissent leur politique, les actifs réels semblent de plus en plus attrayants. Avec la baisse des rendements réels, les investisseurs pourraient rechercher des rendements plus élevés que ceux qu’ils tirent des liquidités placées sur les marchés monétaires. L’immobilier, qui a traversé une période difficile ces dernières années, semble être une bonne solution alternative, d’autant plus que les actions sont chères. En la matière, l’évolution du marché immobilier suisse semble instructive. Alors que la banque centrale suisse devrait faire redescendre les taux en territoire négatif, l’indice de l’immobilier du pays a rebondi et enregistré près de 20% de progression sur l’année. Une telle évolution pourrait bien servir de modèle au secteur dans son ensemble.
Nous restons positifs au sujet des valeurs financières, qui figurent parmi les grands bénéficiaires de l’arrivée de Trump, même si nous pourrions être amenés à réduire cette position dans les mois à venir. Nous regardons également les services aux collectivités d’un bon œil, malgré la sous-performance du secteur l’année dernière. La consommation d’électricité devrait augmenter avec la demande suscitée par l’IA et l’abandon des carburants fossiles. Parallèlement, le secteur offre une couverture contre la forte cyclicité du marché d’actions.
Obligations et devises: le choix de l’or
On pourra pardonner les investisseurs d’avoir pensé que le rebond de 2024 se limitait exclusivement aux valeurs technologiques et aux actions américaines. Elles n’ont cependant pas été les seules à briller. L’or a connu sa meilleure année depuis 2010 et nous pensons que les bonnes raisons de maintenir cette exposition au sein d’un portefeuille diversifié ne manquent pas.
Étant donné qu’aux États-Unis, les Républicains auront à la fois la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, un vaste programme de dépenses budgétaires est probable, ce qui suscitera des inquiétudes au sujet de l’inflation et de la soutenabilité de la dette américaine, deux facteurs favorables à l’or, compte tenu de son statut d’actif réel et de valeur refuge. Avec la baisse des taux d’intérêt, nous estimons qu’une reprise de la demande pour le métal précieux chez les investisseurs particuliers est possible.
Enfin, l’or continue de bénéficier de la demande structurelle des banques centrales des marchés émergents, qui, et c’est un facteur clé, ne sont pas particulièrement sensibles à son prix. C’est pourquoi nous pensons que les marchés continueront de regarder au-delà des valorisations (qui comptent parmi les plus élevées que nous ayons jamais vues ces deux dernières décennies) et que l’or continuera de constituer une couverture essentielle contre les possibilités de stagflation et de dépréciation du dollar dans les mois à venir.
Dans l’univers obligataire, nous préférons les titres des marchés émergents, tant pour la dette en devise locale que pour le crédit. Notre indicateur avancé de l’activité des entreprises dans les pays émergents est revenu en territoire positif, soutenu par une dynamique positive du commerce mondial. Nous tablons sur un creusement de l’écart de croissance entre les économies émergentes et développées (à 1,7 point de pourcentage en 2025, contre 1,5 en 2024), une évolution qui s’est avérée positive pour les obligations des marchés émergents dans le passé.
Ajustées de l’inflation, les obligations des marchés émergents semblent particulièrement attrayantes et pourraient le devenir encore plus. Nous observons en effet davantage de baisses de taux d’intérêt dans les économies développées, en particulier en Europe.
Par ailleurs, la chasse au rendement pourrait profiter aux segments du marché du crédit développé offrant des rendements plus élevés. Nous privilégions le haut rendement européen par rapport à son homologue américain. Les valorisations sont plus favorables et la classe d’actifs devrait bénéficier d’un cycle d’assouplissement de la BCE qui sera, selon nous, relativement agressif et prolongé. Le taux directeur final de la zone euro, tel que l’estiment les marchés, devrait être inférieur d’environ 150 points de base à celui des États-Unis, tandis que l’écart moyen à long terme s’élèvera à environ 90 points de base (voir Fig. 4).
Nous sous-pondérons les obligations suisses, car leurs valorisations sont élevées et les marchés intègrent déjà la possibilité d’une baisse des taux d’intérêt en territoire négatif. Compte tenu de cette évolution, la baisse potentielle des rendements des obligations à plus courte échéance par rapport aux niveaux qu’ils affichent actuellement est plus limitée.
Notre position sur les bons du Trésor américain est neutre. Alors que nous nous attendons à un ralentissement de la croissance de la première économie mondiale à 1,9% en 2025 (contre 2,7% l’année dernière), ce scénario sera compensé par les risques associés à un arrêt des efforts visant à stopper l’inflation. En effet, lors de sa dernière réunion, la Fed a balayé les attentes irréalistes du marché concernant la profondeur du cycle d’assouplissement. Nous estimons qu’elle met ainsi fin au risque extrême lié à un assouplissement trop marqué et à l’obligation d’un revirement douloureux.
Pour le dollar, les perspectives sont mitigées. Alors que la perspective de nouveaux droits de douane imposés par l’administration Trump devrait s’avérer favorable, les valorisations de la monnaie américaine semblent extrêmement élevées et dans le passé, le président américain récemment élu a déjà cherché à faire baisser le billet vert. Nous restons donc neutres pour l’instant.
Vue d’ensemble des marchés mondiaux: une fin volatile pour 2024
Cette année trépidante a connu une fin mouvementée. Les marchés d’actions ont en effet subi un mois de décembre volatil, même s’ils ont tout de même enregistré des gains considérables sur 12 mois. En devise locale, les actions ont reculé de 0,5% au cours du mois, mais ont réussi à progresser de 22% sur l’année.
Certaines des performances de décembre étaient sans aucun doute liées à des prises de bénéfices en fin d’année ainsi qu’à d’autres facteurs techniques. Néanmoins, après deux années pendant lesquelles les actions américaines ont affiché des gains supérieurs à 20%, la crainte d’un essoufflement des actions est également présente. La concentration du marché est une source de préoccupation importante. Le marché américain représente environ 70% de l’indice des actions mondiales, et une poignée de titres, les sept magnifiques et quelques autres, accaparent la majeure partie des gains.
Les actions américaines ont cédé 1,1% sur le mois de décembre, mais affichent une hausse de 27% sur l’année, soit une performance quasi identique à l’année précédente. La force du dollar (voir Fig. 5) a permis de soutenir quelques autres marchés, notamment le Japon et les marchés émergents. Les actions japonaises ont ainsi grimpé de 5% au cours du mois en yens, tandis que leurs homologues émergentes inscrivaient une progression de 1,7%. Le yen a plongé de plus de 5% sur le mois et inscrit une perte totale de près de 11% sur l’année.
L’évolution haussière des rendements obligataires a été une source de pression sur les actions. Les obligations mondiales ont perdu 1,5% en décembre, en devise locale, et affichent une baisse marginale de 0,1% sur l’année. En dollars, ces deux données apparaissent plus mauvaises en raison de la solidité inébranlable du billet vert. La monnaie américaine a progressé de 2,1% au cours du mois, grâce à l’action agressive de la Fed et à l’effet Trump, et sa hausse atteint 6,6% sur l’année.
Parmi les obligations souveraines, les bons du Trésor américain ont enregistré le plus fort recul mensuel, avec une baisse de 2,9%. La résilience surprenante de l’économie américaine et les prévisions d’un effet inflationniste des politiques commerciales et fiscales de Trump ont poussé les investisseurs à réduire leurs attentes concernant des baisses de taux de la part de Fed. D’autre part, les mêmes forces qui influencent les actions ont également stimulé le crédit aux entreprises, et généré une certaine volatilité en fin d’année sur un marché qui, dans l’ensemble, s’est bien comporté en 2024. Le haut rendement européen a été le meilleur élève, avec une progression de 0,6% sur le mois et de 8,6% sur l’année. D’autres pans du marché n’ont pas été aussi étincelants. Les titres américains de catégorie investment grade ont ainsi cédé 2% sur le mois.
Les prévisions de croissance plus fortes ont stimulé les matières premières, qui inscrivent une hausse de 2% sur le mois et un gain de près de 8% sur l’année. Elles ont même contribué à réduire les pertes du marché pétrolier. Par ailleurs, alors que l’or a chuté de 1,6% sur le mois, il a été l’un des plus grands gagnants de 2024, avec une hausse légèrement inférieure à 27%.