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The Klosters Forum: Financer la transition vers des villes durables et résilientes
Chaque jour, 200 000 personnes viennent s’installer en ville. À ce rythme, nous serons près de 70% d’urbains d’ici à 2050, contre un peu plus de 50% aujourd’hui.1
L’urbanisation est généralement considérée comme préjudiciable pour la planète. C’est d’autant plus vrai que c’est en ville que les trois quarts des émissions de gaz à effet de serre et la moitié des déchets mondiaux sont déjà générés.
Pourtant, si l’expansion urbaine est bien planifiée et gérée, elle peut avoir plusieurs bénéfices pour l’environnement et la société. Les villes sont ainsi plus efficaces que les zones rurales – cinq fois plus dans certains domaines – car l’agglomération augmente la productivité2. Cela peut contribuer à créer des emplois, à réduire la pauvreté, à améliorer la santé et l’éducation et à promouvoir la culture et l’innovation.
Urbanistes et constructeurs immobiliers exploitent déjà différentes technologies propres innovantes et solutions intelligentes aux défis urbains et le monde devrait bientôt les prendre comme modèle pour la résolution de ses problèmes environnementaux.
Les participants au Klosters Forum (TKF) de cette année ont débattu sur le rôle avant-gardiste joué par les villes dans l’adoption de solutions innovantes et commercialement viables destinées à réduire les émissions et à construire des fondations résilientes pour les décennies à venir.
Pendant ces trois journées d’intenses discussions, qui se sont déroulées dans la ville de Klosters, au cœur des montagnes suisses, les participants – notamment des investisseurs, des entrepreneurs, des décideurs politiques et des urbanistes – ont analysé des idées prometteuses et les meilleures pratiques concernant les puits de carbone urbains, les villes intelligentes, le rôle du big data et les solutions basées sur la nature.
Ressentir la chaleur
Dans la session «Financer la transition vers des villes durables et résilientes», des représentants de Pictet Asset Management ont expliqué pourquoi les villes constituent des systèmes d’avertissement précoce du changement.
«De nombreux problèmes que la société doit affronter apparaissent d’abord dans les villes en raison de la densité de population», a expliqué Ivo Weinöhrl, Senior Investment Manager en actions thématiques chez Pictet AM. «Comme tant de personnes vivent sur une surface réduite, il y a un effet d’amplification en raison de la pollution de l’air et du bruit, de la congestion et de l’effet d’îlot de chaleur.»
Prenez le changement climatique. Au cours de ce siècle, les températures mondiales devraient augmenter en moyenne d’au moins 2,5°C par rapport aux niveaux préindustriels, soit bien plus que les objectifs de l’Accord de Paris3. La situation pourrait toutefois être bien pire en ville. Les représentants présents au TKF ont entendu que la hausse pourrait atteindre 8°C dans les zones urbaines.
«Des agglomérations comme Londres enregistreront ainsi régulièrement des températures de 40°C. Et ce ne sera pas dans un avenir lointain», a déclaré Indy Johar, cofondatrice de Dark Matter Labs, une organisation mondiale à but non lucratif axée sur les transitions sociétales.
«N’oubliez pas qu’il est 10 fois plus difficile de rafraichir que de chauffer.»
Des événements météorologiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur subies à Delhi cette année et les inondations mortelles à Dubaï, poussent les infrastructures des villes au-delà de leur point de rupture. En juin, une panne d’électricité majeure a frappé les Balkans après un pic de température à près de 40°C. Les feux de signalisation se sont éteints, les pompes à eau ont stoppé et les habitants ont étouffé sous la chaleur, faute de climatisation.
«Des catastrophes qui ne se produisaient qu'une fois par siècle ont désormais lieu chaque année», a déclaré Erion Veliaj, maire de Tirana, la capitale de l’Albanie, aux participants du TKF.
Éliminer le carbone
Même si ces menaces sont particulièrement préoccupantes, les urbanistes ne manquent pas d’options pour y faire face. Les technologies d’adaptation au changement climatique et d’atténuation de ses effets sont nombreuses et la plupart d’entre elles fonctionnent particulièrement bien dans les environnements urbains.
Les représentants ont appris comment l'élimination du dioxyde de carbone de l’atmosphère devient une solution viable et potentiellement attrayante sur le plan commercial.
Plusieurs options permettent de retirer le carbone de l’air. Les solutions de retrait du carbone les plus traditionnelles consistent à planter des arbres, tandis que des options plus sophistiquées fondées sur la nature comprennent l’altération accélérée des roches (enhanced rock weathering, ERW). L’ERW est une stratégie consistant à disperser des roches volcaniques concassées sur les terrains dans le but d’accélérer le processus naturel d’érosion – c’est-à-dire la création d’un puits de CO2 permanent – qui ne dure plus que quelques décennies au lieu de plusieurs millions d’années.
Des techniques plus récentes consistent à capturer directement le carbone de l’atmosphère. La capture directe dans l’air filtre le dioxyde de carbone de l’air et le stocke sous forme liquide ou solide.
Elle n’est pas bon marché. On estime que ses coûts normalisés habituels – qui mesurent le coût actuel moyen sur la durée de vie – s’élèvent à plusieurs centaines de dollars par tonne de CO2 capturé, ce qui est plus cher que les options naturelles. Pourtant, les investisseurs parient sur le fait que cette technologie va bientôt s’étendre.
Carbon Removal Partners est une société de capital-risque basée à Zurich qui évalue des start-ups du monde entier spécialisées dans la capture du carbone. Son fonds détient une participation dans la société suisse Climeworks, qui exploite et met au point des installations de capture directe dans l’air dans le monde entier.
«En allant vers une économie neutre en carbone, nous allons créer un secteur aussi grand que celui du pétrole et du gaz aujourd’hui. L’économie du carbone est une économie qui capture, stocke et utilise le CO2. Elle représente une opportunité de marché de plusieurs milliards de dollars», a déclaré Max Zeller, partenaire fondateur de Carbon Removal Partners, aux représentants lors du TKF.
Biodiver-cités
Les participants au TKF ont également abordé des méthodes qui réclament moins d’industrie et de technologies pour la réponse aux difficultés urbaines. Ils se sont plus précisément concentrés sur les solutions dont disposent les villes pour intégrer la nature et exploiter les services écosystémiques, tels que la pollinisation, la fourniture d’un air propre, d’aliments et d’eau douce et la prévention des inondations.
Ces méthodes d’adaptation sont appelées solutions fondées sur la nature. Elles sont conçues pour protéger et restaurer la nature et répondre aux problèmes environnementaux et sociétaux tout en augmentant la résilience.
Parmi les exemples concrets communiqués par les participants, citons la protection offerte par les arbres, les bâtiments en bois, les murs végétalisés, les fermes municipales et les parcs de poche. Toutes ces solutions ont prouvé leur capacité à réduire les émissions et la pollution, à favoriser le refroidissement, à retenir l’eau et à prévenir les inondations, tout en améliorant le bien-être social et la résilience urbaine.
On estime que ces solutions liées aux infrastructures coûtent 50% de moins que les infrastructures artificielles traditionnelles et apportent 28% de valeur ajoutée, notamment grâce à la décarbonation de l’environnement bâti, à la résilience climatique, à la capture de la valeur foncière et à la création d’emplois.4
Plus particulièrement, l’utilisation du bois dans les villes est de plus en plus populaire. Les nouvelles technologies telles que le bois lamellé-collé (CLT) et l’évolution des codes de construction permettent en effet aux architectes de remplacer le béton par du bois, même dans les gratte-ciels5. Ce marché est en outre en pleine croissance: le secteur mondial du bois lamellé-collé, qui représente actuellement 1,1 milliard de dollars US, devrait enregistrer une expansion de près de 15% sur une base annuelle composée d’ici à la fin de cette décennie6.
Selon l’ONU, les investissements dans des objectifs liés à la nature, tels que la restauration de la nature, l’utilisation efficace des ressources et la réduction de la pollution de l’eau et de l’air, aideront à combler un déficit de capital naturel estimé à 7,4 milliards de dollars US d’ici à 2030 et pourraient générer un retour sur investissement de plus de 20x7.
«Nous ne pourrons pas parvenir à un avenir neutre en carbone sans inclure la nature dans les villes», a déclaré un participant à la session.
Villes circulaires
Les représentants présents au TKF ont également appris que les villes doivent fondamentalement revoir leur utilisation des ressources naturelles.
Étant donné que le nombre d’immeubles d’appartements, de bureaux, de routes et de ponts augmente pour accueillir une population urbaine croissante, l’extraction des ressources naturelles mondiales devrait grimper de 60% d’ici à 20608.
Pour certaines ressources, la hausse sera beaucoup plus forte. C’est notamment le cas pour le lithium et le cuivre, qui sont tous deux essentiels à la transition écologique. La réalisation des objectifs de neutralité carbone en 2050 multipliera par cinq la demande en minéraux, ce qui risque d’aggraver les problèmes environnementaux. L’activité minière consomme en effet énormément d’énergie et contribue de manière significative aux émissions de carbone mondiales et à la perte de biodiversité9.
Pour consommer de manière plus durable, les participants ont appelé à une réévaluation drastique de la valeur des ressources.
Johar, de Dark Matter, a expliqué que les problèmes rencontrés par le secteur des infrastructures étaient similaires à ceux de la fast fashion. Ainsi, une chemise ordinaire coûtant entre 40 et 50 euros pourrait voir son véritable prix de vente au détail multiplié par 5 à 9 si le coût environnemental et celui des ressources étaient correctement pris en compte. Nous avons besoin d’une analyse des coûts comparable pour les infrastructures urbaines ainsi que pour les services écosystémiques, affirme-t-il.
«Actuellement, notre économie fonctionne sur la base d’un arbitrage important entre ce que nous facturons et ce qui a une valeur systémique. En investissant dans cet arbitrage et en l’exploitant, notre génération a devant elle sa plus grande opportunité, mais aussi son principal besoin», a déclaré Johar.
«Il nous faut plus de transparence. Les arbres, les plantes et le sol sont les véritables actifs critiques qui doivent être intégrés au bilan. Même une ville, où les matériaux sont réutilisés, doit être considérée comme une classe d’actifs.»
The Klosters Forum
Le Forum Klosters est une organisation à but non lucratif qui offre une plateforme neutre aux esprits visionnaires et audacieux pour relever quelques-uns des défis environnementaux les plus pressants au monde. Sa mission consiste à accélérer les changements environnementaux positifs en développant une communauté de penseurs et d’acteurs de premier plan et en favorisant les échanges et les collaborations interdisciplinaires.
Le Forum organise un événement consacré à l’environnement dans un cadre neutre et discret. Il vise ainsi à mettre en relation des participants de haut niveau issus des secteurs de la science, des affaires, de la politique et de l’industrie, ainsi que des ONG, des esprits créatifs et des experts en développement durable. Cette année, ce rendez-vous annuel s’est tenu du 25 au 27 juin, et était centré sur la résilience urbaine.
Partenariat de Pictet avec le Klosters Forum
Le Groupe Pictet est heureux d’être partenaire du Klosters Forum pour la quatrième année consécutive. Unis par une mission commune, nous nous engageons à attirer l’attention sur certains des défis environnementaux les plus importants de notre époque et à étudier comment les villes peuvent aider à y répondre.
Nous pensons que les investisseurs, tant sur les marchés cotés que privés, jouent un rôle déterminant dans la protection du capital mondial. D’un côté, ils peuvent apporter des fonds essentiels pour les sociétés qui conçoivent des produits et des services susceptibles d’inverser les dommages écologiques, ou s’appuyer sur des leviers de création de valeur pour renforcer la résilience environnementale. D’un autre côté, ils ont à eux seuls le pouvoir de retenir ou de retirer les capitaux des entreprises qui manquent gravement à leurs responsabilités en matière de durabilité.
[2] Asian Development Bank, 2016
[3] UN Emissions Gap Report, November 2023
[4] World Economic Forum, January 2023
[5] Pictet Group, February 2024. For more, see https://www.pictet.com/global/en/insights/am/bringing-timber-to-the-masses
[6] Grand View Research, 2023
[7] UN Environment Programme, June 2024, https://www.unep-wcmc.org/en/news/funding-nature-related-sustainable-development-goals-would-deliver-more-than-20-times-return-on-investment-study-shows
[8] UN Global Resources Outlook, March 2024
[9] World Bank, June 2022