Pictet Group
Un regard tridimensionnel
Laurent Ramsey est associé-gérant du groupe Pictet depuis 2016
L’alignement est complet entre institutions financières, public, associations et autorités fédérales; un front uni pour une finance durable, cheval de bataille de la place financière suisse, et plus encore genevoise. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: 1’100 des quelques 7'000 milliards de francs d’actifs sous gestion en Suisse en 2019 étaient placés de manière durable1, une progression de 62% sur un an. Quant aux établissements genevois, compte tenu de leur proximité géographique et historique avec les Nations-Unies, ses agences et le puissant écosystème des organisations humanitaires, ils sont particulièrement bien placés pour aller de l’avant.
Venu livrer un message fort à la conférence annuelle de la Fondation Genève Place Financière, Laurent Ramsey, associé-gérant du groupe Pictet et vice-président de la Fondation, y évoquait «l’Esprit de Genève», une tradition d’engagements des banques et des établissements de la place vis-à-vis des objectifs environnementaux et sociaux. Il rappelait aussi que l’Association Suisse des Banques (ASB), la SFAMA, Swiss Sustainable Finance (SSF) et le Conseil fédéral publiaient en juin des textes «fondamentaux pour positionner la Suisse en pôle international incontournable».
Comment se matérialise l’alliance entre les institutions internationales et la place financière genevoise?
Quelques points clé. Genève est la patrie des Objectifs de développement durable de l’ONU qui servent aujourd’hui de fondements à une juste allocation des flux financiers dans le monde entier. L’impact investing est né en Suisse. La collaboration entre la Genève internationale et la Genève financière a conduit, en 2019, à la première édition de Building Bridges, sommet visant à renforcer les ponts entre les deux univers. Une seconde édition est prévue l’an prochain. La relation entre ces deux mondes ne se limite d’ailleurs pas à la finance pure et dure. J’en veux pour exemple le prix Pictet, créé il y a plus de 10 ans pour sensibiliser le public aux enjeux du développement durable par le biais de la photographie, et dont le Président d’Honneur a été, jusqu’à sa mort, Koffi Annan, dix ans secrétaire général des Nations Unies et prix Nobel de la paix.
Comment voyez-vous la finance durable des prochaines années?
Il existe à l’heure actuelle plusieurs approches: l’exclusion, le «best-in-class», l’investissement thématique ou encore l’impact investing, star montante de la finance responsable avec un quadruplement des montants sous gestion en Suisse entre 2018 et 2019. D’autres naitront et il me parait essentiel que, dans le futur, des approches multiples puissent coexister. La taxonomie que mettent en place nos voisins européens représentera un grand pas en avant. Il reste toutefois indispensable de ne pas standardiser la gestion durable afin de lui conserver toute sa richesse. Face à l’urgence climatique, le plan d’action européen est bienvenu et le cadre réglementaire va accélérer la transition – même s’il pèsera sur les coûts - mais le choix des objectifs et des méthodes doit rester aux acteurs de la finance.
Nécessitera-t-elle une expertise plus poussée des gérants d’actifs?
Nécessairement. Les gestionnaires devront se montrer plus proactifs. Leurs obligations fiduciaires les amèneront à analyser un nombre plus important de facteurs ayant une incidence matérielle sur les investissements, avec pour conséquence des primes aux actifs plus vertueux et par là-même une réallocation du capital. Ils auront aussi un devoir d’engagement vis-à-vis de la direction des entreprises pour les influencer à adopter des stratégies en ligne avec les normes ESG. La durabilité sera dorénavant inscrite dans la formation des conseillers à la clientèle.
La gestion indicielle est-elle à même de répondre aux exigences de l’investissement durable?
Toujours plus nombreux, les détenteurs d’ETF peuvent jouer un rôle important dans une allocation du capital dirigée vers la durabilité. Encore faut-il que les fournisseurs d’indices jouent le jeu en toute conscience. J’aimerais rappeler ici l’initiative de Swiss Sustainable Finance en 2018 visant à ce que les entreprises liées aux armes non-conventionnelles soient exclues des principaux indices2. Le dialogue n’a pas été aisé. Sur la gestion passive, il reste du travail à accomplir.
Existe-t-il des freins au développement de la finance durable en Suisse?
A ma connaissance, les seuls freins sont d’ordre fiscal. Comme l’a confirmé Yves Mirabaud durant la conférence de la semaine dernière, le droit de timbre et l’impôt anticipé sont des handicaps à l’expansion d’une finance durable suisse. En particulier à l’émission des green bonds.
Le mot de la fin?
Aujourd’hui le dialogue avec la clientèle tourne invariablement autour de l’ESG. Performance et risque ne sont plus les seuls angles à prendre en considération. Les préférences ESG sont désormais le 3e axe de toute conversation. Le regard sur la gestion privée et institutionnelle sera désormais tridimensionnel.
©2020, Nicolette de Joncaire, Allnews