L’agriculture régénérative à grande échelle
La moitié des espèces recensées sur la planète se trouvent dans le sol, où la moindre motte de terre abrite des milliards d’organismes. Si on l’associe souvent à l’agriculture – ce qui est tout à fait logique puisqu’il est à l’origine de 95% de notre production alimentaire –, le sol joue aussi un rôle majeur dans la lutte contre le changement climatique parce qu’il peut stocker plus de carbone que l’atmosphère et les plantes réunis.
Depuis quelques années, le monde de l’agriculture essaie de concilier ces deux aspects. Née dans les années 1980, l’agriculture régénérative a connu un regain de popularité au cours de la décennie qui vient de s’écouler. L’objectif de cette démarche holistique de la gestion des terres est d’augmenter la quantité de matière organique des sols, de favoriser la biodiversité, d’améliorer l’écoulement des eaux et d’accroître les capacités de stockage du dioxyde de carbone. Son essor a fait naître un écosystème de start-up désireuses d’accompagner le mouvement. Klim en fait partie. Jeune pousse berlinoise spécialisée dans l’agritech, elle veut non seulement faire progresser l’agriculture régénératrice, mais aussi la déployer à grande échelle.
Fondée en 2020, elle aide les agriculteurs à adopter des pratiques régénératives en se positionnant comme une source d’informations, un cabinet de conseil et un bailleur de fonds qui fait le lien entre les entreprises agroalimentaires qui veulent décarboner leur filière et les agriculteurs qui peuvent les aider à le faire. Ces entreprises rémunèrent Klim pour des projets de compensation carbone intégrée (insetting) destinés à réduire les émissions au niveau de la filière. Une grande partie de la somme va directement aux exploitants agricoles, et Klim conserve le reste. La start-up aide ensuite les agriculteurs à mettre en place un programme d’amélioration de la qualité des sols, de résilience et de sécurité à long terme des récoltes grâce à des pratiques régénératives: moins labourer pour protéger la vie du sol, utiliser des couverts végétaux, prévoir une rotation précise des cultures pour protéger les éléments nutritifs contenus dans la terre et utiliser du compost naturel. Klim mesure la réduction des émissions qui en découle pour en quantifier l’impact. L’entreprise gagne aussi de l’argent en proposant des dispositifs de compensation carbone volontaire (offsetting) à des acteurs qui n’appartiennent pas directement à la filière agricole.
Pour Nina Mannheimer, cofondatrice et directrice produits de Klim, l’agriculture régénérative est à la fois rationnelle et rentable pour les agriculteurs. Forte de cette conviction, la start-up a donc voulu comprendre ce qui les dissuadait de l’adopter. «Les agriculteurs ont rarement beaucoup de trésorerie, explique-t-elle, et il faut 5 à 10 ans pour rentabiliser cet investissement, donc ils ont besoin d’un financement relais. Financer cette transition, c’est une partie de notre mission.» Pour y parvenir, Klim s’associe à de grands noms de l’agroalimentaire.
L’autre obstacle est d’ordre pédagogique: selon Nina Mannheimer, les institutions traditionnelles sont encore en retard dans ce domaine. Donc Klim apporte des ressources aux agriculteurs pour qu’ils puissent prendre les bonnes décisions et «maximiser leur réussite». Enfin, la dernière mission de Klim, c’est de faire reconnaître les efforts de ceux qu’elle accompagne afin de faire évoluer une perception pas toujours favorable du monde agricole, notamment en matière d’environnement.
«Pour les entreprises qui financent cette transformation, l’intérêt dépasse très largement la simple question de la compensation des émissions, souligne Nina Mannheimer, parce que ce qu’elles font, c’est aussi investir dans une filière plus solide et dans des sols plus sains, ce qui signifie des rendements moins irréguliers et plus de sécurité alimentaire.» Si beaucoup de petits cabinets de conseil accompagnent déjà les exploitations agricoles, Klim veut voir les choses en grand et travailler à l’échelle industrielle «pour avoir l’impact nécessaire pour faire vraiment la différence», poursuit Nina Mannheimer. «C’est un enjeu systématique, donc convertir une poignée d’exploitations ne suffit pas», ajoute-t-elle.
Klim a elle aussi connu une croissance fulgurante, dopée par les 8 millions d’euros de seed funding levés auprès de capital-risqueurs spécialisés dans la foodtech et les technologies climatiques. Nina Mannheimer a cofondé l’entreprise avec Robert Gerlach – ils sont tous les deux issus du milieu de la tech et de la durabilité – et Adiv Maimon, aujourd’hui directeur technologique de Klim. Le trio a mené des recherches approfondies sur le terrain quand il a imaginé Klim, mais le recrutement de collaborateurs passés par le monde agricole était évidemment une priorité. Ils forment d’ailleurs toujours la plus grosse équipe de l’entreprise. Aujourd’hui, Klim compte 50 salariés et veille sur la gestion de plus de 500 000 hectares pour le compte de grands acteurs mondiaux de l’agroalimentaire. Sa plateforme rassemble plus de 3000 agriculteurs.
Mais le secteur change très vite, ce qui n’est pas forcément simple pour une petite entreprise comme elle. Le cadre réglementaire s’avère particulièrement complexe et les concepts d’insetting, d’offsetting et de crédits carbone pour les sols évoluent encore. «Il faut réussir à ajuster les différents éléments de la stratégie pour qu’ils correspondent au cadre, mais il bouge en permanence, donc vous vous retrouvez à faire et refaire les mêmes choses parce qu’un détail a changé», déplore-t-elle. Les nombreux scandales qui ont éclaté au sujet des crédits carbone ont aussi terni la crédibilité du secteur: la traçabilité et la transparence sont donc d’autant plus importantes pour Klim.
Pour Nina Mannheimer, l’essentiel des défis s’expliquent par le fait que ce secteur en est encore à ses balbutiements. «Mais avoir moins de concurrence, c’est aussi un grand avantage, sourit-elle. Et c’est très stimulant de se dire qu’on fait partie de ceux qui façonnent le secteur.»
Nina Mannheimer
Fonde Dalou, traiteur, à Londres. Aujourd’hui, l’entreprise est basée à Zurich et livre des repas équilibrés en entreprise.
Obtient un diplôme en études européennes au King’s College de Londres.
Nommée chef de produit chez Evermore Health, une marque qui prône une vie et une alimentation équilibrées.
Cofonde Klim à Berlin avec Robert Gerlach et Adiv Maimon.
Remporte le «Veuve Clicquot Bold Future Award», prix qui distingue les femmes entrepreneures.
Entre dans le classement Forbes des «30 Under 30 Europe», dans la catégorie «impact social».